Louée unanimement, la marche parisienne du 11 janvier recèle plus d'ambiguïtés qu'il n'y paraît. D'une certaine façon, elle consacre l'effondrement de la bien-pensance.
La faillite de la bien-pensance.
C’est d’abord ce que m’inspirent ces journées tragiques que nous venons de
vivre. Certes, la manifestation monstre de Paris a eu ses thuriféraires émerveillés
qui nous ont chanté les lendemains nouveaux avec le refrain obligé « d’un
avant et d’un après ». Mais il y avait tellement de motivations et d’arrière-pensées
différentes au sein de ce rassemblement hétéroclite !
Pour ma part, je ne
suis pas du tout convaincu que tout le monde ait défilé pour la défense des
libertés. Sans doute y en a-t-il eu qui se sont montrés à seule fin de se
dédouaner à bon compte de ne pas avoir fait le ménage chez eux – ils ne l’ont d’ailleurs
toujours pas fait – entre islam et islamisme. Sans doute aussi s'est-il trouvé parmi les marcheurs des gens qui brandissaient leur « je suis Charlie »
mais n’auraient jamais brandi un « je suis juif » au lendemain de la
tuerie de Toulouse en 2012, pas plus d’ailleurs qu’ils n’ont été émus par le
crime antisémite commis en décembre dernier à Créteil. Où étaient alors les fameux "indignés" ? Les juifs, c’est presque normal
mais Charlie, c’est tellement tendance …
Peut-être se sont
nichées au passage quelques visées politiciennes destinées à faire la preuve
que la gauche n’était pas tout à fait morte. Il est seulement cocasse que l’homme
à l’origine de la manifestation ait été François Lamy, un des bras droits de
Martine Aubry : vous savez, pas la « dame des 35 heures » mais
celle qui a instauré des horaires différenciés dans les piscines de sa bonne
ville de Lille afin d’éviter la mixité hommes-femmes …
Il y a eu surtout dans
cette marche « historique » un formidable exutoire à la peur. De
Gaulle disait en son temps qu’on ne peut faire vraiment bouger les Français que
sous l’empire de la peur. Ces Français, ajoutait Richelieu, qui « ne sachant
se tenir au bien reviennent si aisément du mal ». Reconnaissons-le sans
tergiverser : c’est bien la peur et non la défense de nobles idéaux qui a
fait descendre l’écrasante majorité de ces gens dans la rue, dimanche 11 janvier. Défense
de la liberté d’expression ? Pardi ! Ceux qui défilaient ce jour-là pour
Charlie Hebdo était ceux-là même qui avaient
condamné sans sourciller à la mort médiatique un certain Eric Zemmour peu auparavant.
Faillite de la
bien-pensance, donc. Ah ! Ils avaient belle mine, tous ces politiciens qui,
hier encore, n’avaient de cesse qu’ils ne renvoient doctement la responsabilité
des attentats au conflit israélo-palestinien : ces politiciens qui
émargent encore allègrement sur les comptes du Qatar ou des émirats quand ce n'est pas de l'Iran.
Elle a belle mine,
cette gauche caviar dont le silence est devenu assourdissant ces temps-ci. Où
est-il donc passé notre si sémillant Jack Lang ? On comprend qu’en sa
qualité de président de l’Institut du monde arabe, il se soit mis aux abonnés absents.
On ne mord pas la main qui vous nourrit. Où est-il notre Yannick Noah national,
fraudeur fiscal et donneur de leçons de morale devant l’Eternel ? Muet lui
aussi, sans doute pour ne pas avoir à verser de larmes de crocodile devant des
victimes juives. Et tant d’autres figures emblématiques de la gauche qui ont
brusquement disparu de nos écrans radar, à l’instar des Arditi, Bacri, Jaoui ou
encore de Jamel Debbouze qui a sûrement craint, en sortant de son mutisme, de
désobliger son grand ami, le « si drôle » Dieudonné. On a du tact ou
on n’en a pas …
Tous ces gens-là avec
leurs arrière-pensées ont dû se trouver fracassés par l’intervention brillante et courageuse à
l’Assemblée nationale de Manuel Valls qui, pour la première fois, a osé qualifier les attentats : jihadisme, islamisme, sectarisme
musulman, intolérance. Pour la première fois également, le premier ministre
a soulevé le problème de l’école dans les quartiers, au grand dam de l’Education
nationale pour laquelle, comme d'habitude, tout est normal. Que cela faisait du bien d’entendre
par sa voix ce que des générations d’hommes de gauche, comme de droite d’ailleurs,
s’étaient évertués à nier au nom du politiquement correct !
Il faut être juste. Il
est resté des journalistes de gauche - sont-ils encore vraiment des journalistes ? - qui sont montés au créneau en détournant le problème avec une arrogance et une persévérance que ces jours derniers ont rendue proprement ignoble. Il en va ainsi d'Edwy Plenel qui justifie en creux les attentats barbares en y voyant complaisamment "la cruauté du faible". Sans parler de Laurent Joffrin qui dénonce nommément - ce n'est pas la première fois que ce délateur-né se livre à ce genre de dénonciation nominative - les véritables responsable des massacres : Zemmour, Houellebecq et Finkielkraut. Dans leur traîne, les suivistes d'Edgar Morin ou du si regrettable Stéphane Hessel ainsi que tous ceux qui se seront évertués à transformer un défilé contre l'islamisme en défilé contre l'islamophobie.
Tous comptes faits, il y a aussi un humoriste de gauche qu’on aura entendu surabondamment. Un artiste
pitoyable, pathétique, au seuil de la sénilité, qui nous aura abreuvés de ses jérémiades
auto-justificatrices, fort peu crédibles au demeurant. Qu’allait-il faire dans
cette galère, lui qui n’avait jamais aimé les gens de Charlie Hebdo, qui les vomissait même en ne les trouvant pas drôle
pour un sou et qui ajoutait même « Qu’ils crèvent !» Certes, étant
tout aussi pied noir d’origine que Bedos, je sais que cette expression « Qu’ils
crèvent ! » est souvent passe-partout et n'a pas en tout cas la tonalité à laquelle les récents attentats ont donné une dimension tragique. Pour autant,
était-ce la place de Bedos de venir se lamenter sur son propre sort en bredouillant non sans indécence qu’il avait été mal compris ? On savait déjà que sa soi-disant drôlerie moralisatrice avait ses limites.
On le découvre lâche.
Lui, Bedos, pensait
sûrement avec sincérité que c’était sa place de s’exhiber ainsi avec impudeur
devant les médias. Tant il est vrai qu’un artiste ne décroche jamais, « ne
se fait jamais piquer son créneau » comme le prétendait naguère le grand
Vittorio Gassman. Existe-t-il encore des gens qui se laissent prendre à son jeu ?
Très certainement les naïfs, les crédules, tous ceux qui s’accrochent encore
désespérément à leurs illusions de naguère. André Gide disait autrefois, en
substance, que de toutes les fidélités, celle qu’on porte à soi-même est la
plus consternante dès lors qu’elle n’est pas spontanée. Les autres se
contenteront de penser, comme moi : Tchao
Pantin, quitte à faire se retourner dans sa tombe le grand Coluche.