Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

jeudi 30 juillet 2015

La censure, c'est maintenant !



Emanation du pouvoir d’Etat, le Conseil supérieur de l’audiovisuel se croit à présent autorisé à exercer une censure directe sur les journalistes.

Non, on ne rêve pas. L’inhibition des médias sur le scandale de Reims, où une jeune fille a été agressée par cinq « autres, se durcit. C’est au point qu’une station bien innocente comme TSJ Jazz ait cru devoir, en rappelant cette affaire, que SOS Racisme avait organisé à Reims, peu après l’agression susdite, une manifestation « ridicule ». Bon, une fois de plus c’est : circulez, y a rien à voir. Tout se passe pour le mieux dans un pays qui va dans le mur à force d'oeillères.

En revanche, on est invité à ne point circuler après l’émission du lundi 5 mai dernier de Mots croisés sur France 2. La puissance invitante, en l’espèce, est rien moins que le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui vient de s’insurger officiellement contre le contenu de cette émission centrée sur le maire de Béziers, Robert Ménard. Visiblement, la gauche institutionnelle n’a toujours pas avalé l’élection – rigoureusement démocratique pourtant – de l’ancien fondateur de Reporters sans frontières.

En l’occurrence, le CSA reproche à Ménard d’avoir affirmé qu’il y avait un problème avec l’immigration et que, dans sa bonne ville de Béziers, il y a     64,6 % des enfants qui sont musulmans dans les écoles primaires et maternelles. Il se trouve que la loi interdit ce genre de statistique de même qu’elle interdit toute statistique sur l’origine des prévenus et condamnés dans nos tribunaux. Histoire de maintenir à toute force le « convenable » et le politiquement correct. Il est vrai que si le discours officiel n'était pas aussi mensonger et si la réalité chiffrée sur l'immigration était portée à la connaissance de l'opinion, des élus locaux n'en arriveraient sans doute pas à transgresser la loi.  

Face à Robert Ménard se trouvait lors de cette émission la journaliste Anne-Sophie Lapix, celle-ci n'étant pas spécialement une débutante, qui a fait son métier en tentant de pousser son invité dans ses retranchements.

Eh bien, cela n’a pas suffi à notre Office de censure – pardon, à notre CSA – qui s’est cru autorisé, dans un même élan, à critiquer Mme Lapix pour n’avoir pas suffisamment insisté, à son goût, au cours de l’émission sur « le caractère discriminant » des propos de R. Ménard à l’égard des personnes de confession musulmane.

Le CSA aurait-il la prétention de dicter aux journalistes la manière dont ils devraient exercer leur métier ? Cette saillie est plus qu’inquiétante, même si elle ne m’étonnera pas plus que cela et ne provoquera probablement aucune réaction effarouchée des syndicats de journalistes. On a les indignations qu'on peut ... 

En tout cas, une chose est sûre : sous les apparences de mollesse, le régime de M. Hollande se caractérise par un verrouillage systématique de toute opinion qui n’entrerait pas dans son épure. Sous un tel régime, la censure n’est jamais très éloignée, qu’elle s’exprime d’une manière chafouine ou sur le ton de l’exaspération. Il n’est que de rappeler le sort réservé à Eric Zemmour qui fut proprement viré d’I-Télé sur ordre d’une majorité politique à laquelle il avait eu l’infortune de déplaire, l’occupant de Matignon ayant même déconseillé publiquement de lire son ouvrage : de « lire » seulement, vous avez bien vu. Telle est la morale socialiste qui ne s’accommode d’aucune opinion divergente, fût-elle exprimée démocratiquement.

A propos du CSA, sa partialité outrancière étant établie depuis des lustres, c’est bien lui qui donne dans le ridicule. En effet, dans le même communiqué où il critiquait Mme Lapix, il soulignait qu’« aucun manquement de la chaîne n'était caractérisé, les propos de M. Ménard ayant, en l'espèce, fait l'objet de réponses et de protestations de la part de ses contradicteurs ». Donc pas manquement de la chaîne publique. Mais Mme Lapix n'est-elle pas une journaliste de cette même chaîne ? Comprenne qui pourra. Toujours est-il que le message est bel et bien passé : amis journalistes, indignez-vous lorsqu'on vous en donne l'ordre. Et seulement à ce moment-là, bien sûr.

lundi 27 juillet 2015

Scène de la vie quotidienne dans la France plurielle



L'agression d'une jeune fille à Reims donne lieu, dans la précipitation, à une telle mascarade judiciaire et policière qu'elle risque fort d'entraîner les effets inverses à ceux recherchés.

Cela s’est passé hier à Reims, cette ville même où jadis étaient sacrés les rois de France : la précision historique ne va pas sans risque dans la mesure où le politiquement correct situe aujourd’hui la naissance de la nation française en 1789.

Or donc, dans cette ville paisible, voici qu'une une jeune fille se fait agresser alors qu’elle bronze tranquillement et banalement en maillot de bain dans un espace vert. Le maillot deux-pièces n’a rien d’indécent – sinon on peut parier que cela se saurait déjà – et la température estivale est propice à ce genre de farniente. La jeune fille s’appelle Angélique Slosse et son agression est à ce point musclée qu’elle occasionne à la victime 4 jours d’ITT.

Les responsables de l’agression (désolé mais je ne me ferai jamais au substantif d’« agresseure » pas plus qu’à celui de « professeure » ou d’« écrivaine », ce n’est plus de mon âge) ? Cinq autres jeunes filles parmi lesquelles deux mineures âgées respectivement de 16 et 17 ans et trois majeures dont les patronymes mettront plus de vingt-quatre heures à être dévoilés, et ce alors même que les responsables de l’agression ont été presque immédiatement interpelées par la police. Leurs noms : Inès Nouri, Zohra Karim et Hadoune Tadjouri. Des noms comme il sied à toute enquête devant être menée avec précision et célérité. 

Faute de précision dans l’instant, on aura tout de même droit à la célérité. En effet, deux heures ne se sont pas écoulées depuis l’interpellation que le Parquet de Reims se fend d’un communiqué pour assurer que ladite agression n’a rien à voir avec la religion. Quelle rapidité, quel empressement, quelle concision péremptoire ! Sur le champ, la police confirme ces conclusions au vu des déclarations des responsables de l’agression comme de la victime. Quant aux organes de presse qui ont eu l’audace de faire leur métier en supputant les mobiles de l’agression, ils sont quasiment sommés de s’excuser sur le champ tandis que, dans un même mouvement, sont voués au pilori les politiques qui ont eu l’indécence d’être déjà montés au créneau. Et naturellement, pour faire bonne mesure, les blogueurs partisans d’une diversité négatrice de toute stigmatisation ne manquent pas d'occuper une fois de plus le terrain sur le thème des menaces de l’extrême-droite.

Bizarre, tout de même, bizarre. Pourquoi tant de précipitation de la part des pouvoirs publics ? Peut-être serait-on tenté, légitimement, d’imaginer certaines choses ? Serait-il d’ailleurs si incongru de les imaginer ? On nous raconte à présent, sans rire, que la victime a commencé à être agressée verbalement sur le thème : « Vas te rhabiller, c’est pas l’été … » Mais se rend-on compte franchement du ridicule ? Je veux bien convenir, pour ma part, que ces cinq jeunes filles soient incultes – c’est souvent le cas - mais que ne les avait-on prévenues que l’été avait débuté ... le 21 juin ?

Faut-il donner plus avant dans la mascarade de la recherche des causes ? Certains osent même parler, afin de trouver n’importe quelle explication fût-elle tirée par les cheveux, de « jalousie » entre filles voire de « crêpage de chignon ». Nul doute qu’on aura droit d’ici peu à d’autres versions tout aussi sidérantes alors que la simple réalité crève les yeux. 

Le quotidien Libération se fait, quant à lui, un devoir de citer une des responsables de l’agression : « Je suis musulmane, oui, mais tolérante … » Que n’a-t-on expliqué à cette jeune fille ce qu’est la tolérance, sauf bien sûr si elle devait considérer que tabasser l’objet de son courroux revient à faire preuve de clémence : peut-être estime-t-elle, au fond, que le comportement de sa victime valait en réalité quelques centaines de coups de fouet voire la lapidation, comme dans certaines contrées dont on accueille actuellement chez nous, avec un respect qui confine à la prosternation, un des souverains.  

Toujours est-il que le comportement de déni acharné de la part des pouvoirs publics dans cette affaire, leur précipitation à allumer des contre-feux et à accumuler des déclarations dont la véracité n’est nullement prouvée (il ne faut pas être naïf : qui nous assure, en effet, que la victime n’a pas subi gentiment quelques pressions discrètes afin que son témoignage rejoigne la version officielle ?) sont plus que consternants : ils sont dangereux à force de banaliser, voire peut-être plus tard de justifier, un acte extrêmement grave. 

Le bon peuple – vous savez, la horde des « beaufs » - ne s’y trompe guère dans cette affaire où il reste toujours de bon ton de nous asséner la rengaine de l’islamophobie et de la stigmatisation, sur arrière-plan lénifiant du fameux « vivre ensemble ». L’écrasante majorité des gens - les anonymes, pas la soi-disant élite - savent fort bien ce qu’il en est : que dans notre France d’aujourd’hui, on peut voir son libre-arbitre menacé par une minorité qui n’entend pas un seul instant se conformer aux valeurs et encore moins aux lois de notre République. Pire encore, il ne faut pas compter sur le pouvoir politique, trop occupé à ménager ses propres intérêts électoraux, pour protéger ce libre-arbitre. Ne comptons pas non plus sur les Femen, encore que celles-ci auraient tout lieu de se sentir sacrément menacées – et ce n’est pas par le pape ou par la religion catholique - par les temps qui courent.

Après cela, on pourra toujours nous servir et resservir à volonté toutes les salades qu’on voudra. En vain : on n’en supporte plus la saveur et depuis longtemps. Trop longtemps.

mardi 21 juillet 2015

Pauvre M. Kerry !



Naïfs ou plus sûrement complices de la mascarade de l’accord nucléaire avec l’Iran, les Américains devraient avoir une raison supplémentaire de ne pas remercier Obama.

Le secrétaire d'État américain John Kerry n’en finit sans doute plus de se demander dans quelle galère il a été se fourrer en acceptant de succéder à Hillary Clinton à la tête de la diplomatie américaine.

La faute à Barack Obama qui, après le fiasco manifeste d’une politique arabe définie par le tristement célèbre discours du Caire - au moment même où on lui décernait le prix de Nobel de la Paix par anticipation - souhaitait à toute force se rattraper par un acte symbolique. Cet acte, il l’a désormais avec le fameux accord sur le nucléaire iranien, le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba n’étant que broutilles. Un accord au forceps, cependant, qui relève soit d’une victoire à la Pyrrhus soit du simple wishful thinking.

Ainsi donc, après avoir été roulés dans la farine durant plus d’une décennie par Téhéran qui jurait ses grands dieux – avec la complicité active de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) et de son directeur général de l’époque Mohammed El Baradei, encore un prix Nobel, encensé, soit dit au passage par la diplomatie française - qu’en matière de nucléaire, ses visées étaient tout ce qu’il y a de plus pacifique, les Occidentaux en remettent une couche dans la naïveté feinte ou, plus sûrement, dans la duplicité.

Or donc, l’Occident fait à présent semblant de croire que l’Iran ne constitue plus un danger pour la communauté internationale et qu’un consensus s’établirait aisément à ce sujet, n’étaient ces éternels empêcheurs de tourner en rond que sont les Israéliens. Seulement voilà, Israël joue rien moins que sa survie dans cette affaire – les déclarations récurrentes des dirigeants iraniens ne laissant planer aucun doute à ce sujet – tandis que les Occidentaux s’interrogent seulement sur l’ouverture d’un marché lucratif.

Alors, le mot d’ordre est d’ignorer désormais la menace iranienne et, surtout, de se convaincre que l’accord conclu le 14 juillet à Vienne par les « 5 + 1 » est de nature à prévenir toute sorte de danger. Hormis les songe-creux habituels qui claironnent que la résolution 2231 de l’ONU, qui avalise cet accord, représente « un triomphe pour la diplomatie », il reste tout de même quelques esprits lucides – parmi lesquels notre ambassadeur aux Nations Unies, François Delattre – qui s’interrogent et apparaissent nettement plus dubitatifs, incitant même ses collègues à « garder les yeux ouverts ».

Cette dernière expression en dit long rétrospectivement sur la manière qu’ont eu les Occidentaux de se jeter tête baissée dans le piège iranien qui devrait permettre d’ici peu à Téhéran de bénéficier de la levée des sanctions et, notamment, d’empocher quelque 100 milliards de dollars provenant du dégel de ses avoirs financiers. Inutile de s’interroger longtemps sur l’usage qu’en feront les ayatollahs, à commencer par le financement de mouvements subversifs, en Syrie, au Liban et bien ailleurs encore. Il est vrai que ce dégel reste théoriquement subordonné à un rapport final de l’AIEA sur ce qu’on dénomme la « PDM » (possible dimension militaire du programme nucléaire iranien). Mais il est déjà possible d’anticiper les conclusions d’un tel rapport et, du reste, les responsables onusiens se refusent d’ores et déjà de tabler sur une autre hypothèse que celle d’une levée des sanctions.

Et John Kerry ? Une semaine seulement après l’accord, la tonalité de son discours se fait plus amère, surtout en réaction aux toutes récentes déclarations du guide suprême iranien Ali Khamenei qui jurait de défier les politiques américaines dans la région. On ne sait trop s’il faut en rire mais Kerry s’est pris à juger ces déclarations « très inquiétantes » : "Je ne sais pas l'interpréter pour le moment, sauf à le prendre pour argent comptant" a-t-il dit dans une interview avec la télévision saoudienne Al Arabiya. Le pauvre, il ne sait pas comment interpréter de tels propos.

En tout cas, son patron n’en a cure pour ce qui le concerne. Il tient son « succès » et n’entend pas se le faire souffler par le Congrès américain. Ignorant sans doute que ce dernier a son mot à dire dans cette affaire – rappelons-nous la rebuffade infligée jadis au président Wilson par le Congrès républicain sur le traité de la Société des Nations – le président américain affecte de croire que le marchandage avec l’Iran est gravé dans l’airain. En somme, c’est cela ou rien.

Facile à dire, surtout à un allié israélien qui, depuis longtemps, ne nourrit plus la moindre illusion sur Obama. Ce dernier, il est vrai, entend jouer les généreux en se donnant les gants de faire miroiter en faveur de Jérusalem quelques substantielles « compensations militaires ». Or, comme le faisait remarquer Benyamin Netanyahou, qui a oublié d’être stupide même s’il est de bon ton en Europe de le vouer aux gémonies : « Si cet accord est supposé renforcer notre sécurité et celle de nos voisins arabes, pourquoi nous propose-t-on des compensations ? »

Eh oui ! Si des compensations sont dans l’air, c’est qu’on escompte bien faire avaler une couleuvre. Malgré tous les communiqués de victoire, qui ne reflètent au fond qu’un lâche soulagement, le simulacre d’accord avec Téhéran est rien moins qu’une capitulation en rase campagne. Les prochains et inévitables louvoiements de l’Iran, en matière de vérification de l’accord par l’AIEA, de même que les menaces à venir que ne manqueront pas de proférer les radicaux autour du « guide suprême », ne devraient pas tarder à nous éclairer à ce sujet. Mais le mal aura déjà été fait … La seule chose rassurante est qu’Obama se trouvera alors bien proche de la sortie tandis que Kerry, lui, s’apprêtera à retourner au ketchup si cher à son épouse.

dimanche 19 juillet 2015

Adieu Jivago !



Dans le tourbillon assez dérisoire des non-événements qui composent un été ordinaire, une disparition qui passerait presque inaperçue : celle d’Omar Sharif.

Une petite larme de sentimentalisme ne fait pas trop de mal en cet été torride perverti par la menace terroriste plus que jamais présente et un Tour de France tragi-comique, taraudé une fois encore par les démons du dopage : les deux phénomènes ne manquant pas, d’ailleurs, d’être récupérés grossièrement par un pouvoir politique aux abois, obsédé par la courbe de sondages invariablement catastrophiques.

Sentimentalisme, disais-je. Oui, parce qu’il nous ramène des décennies en arrière, à un temps que les moins de … quarante ans, au bas mot, ne peuvent pas avoir connu. Et je les en plains. De quand datait le Docteur Jivago, chef d’œuvre cinématographique de David Lean ? Du milieu des années soixante très exactement et, pour tout dire, la préhistoire aux yeux de la génération actuelle qui, bien sûr, a tout inventé.

Peu me chaut, au fond, le regard condescendant que peuvent porter les gens d’aujourd’hui sur le passé. Ce regard-là, qui se repaît sans le moindre complexe d’images glauques de violence et d’érotisme, ce regard qui n'est que story telling et renvoie à une réalité souvent médiocre ne méritant nullement d’être exhibée, au détriment du rêve et de la poésie – excusez du peu - ne sera décidément jamais le mien. Quitte à passer pour un ringard ou un vieux con, et j’en accepte volontiers l’éventualité.

Le passé donc, à savoir le cinéma de David Lean, ce metteur en scène anglais qui avait déjà réalisé le fameux Pont de la rivière Kwaï ainsi qu’un autre film de légende, Lawrence d’Arabie. Des films d’hommes avec pour le dernier, en vedette, l’inoubliable et si regretté Peter O’Toole mais aussi Omar Sharif que d'aucuns auraient pu prendre à l’époque pour l’« Arabe de service ». L’erreur eut été monumentale ! Si Sharif était, en effet, exceptionnel dans le rôle de Shérif Ali, c’eut été un contresens monstrueux de le cantonner dans ce seul registre sous prétexte qu’il était d’origine égyptienne.

Lorsque David Lean entreprit l’adaptation du célèbre roman de Boris Pasternak, c’est tout naturellement qu’il songea à Omar Sharif. Bien lui en prit car ce dernier s’identifia littéralement au personnage central, Youri Jivago. J’avais une quinzaine d’années à l’époque et, je l’avoue, c’est après avoir vu le film que je me suis lancé à corps perdu dans le superbe roman de cet auteur considérable que fut Pasternak puis dans son œuvre poétique. En 1958, lui avait été décerné le prix Nobel de littérature, après que le Docteur Jivago aura connu en Occident un succès de publication formidable grâce, notamment, à l’habileté de l’éditeur italien Feltrinelli, celui-là même qui devait périr une quinzaine d’années plus tard, victime de ses propres agissements terroristes. Pasternak avait dû cependant renoncer au Nobel en raison des pressions énormes exercées sur lui tant par le pouvoir soviétique que par ses vassaux serviles à commencer, bien évidemment, par le Parti communiste français et par son organe L’Humanité qui n’eurent pas de mots assez durs pour démolir cette œuvre « contre-révolutionnaire ».

Appuyé et garanti, quant à lui, par la grande machinerie hollywoodienne, le film obtint le succès universel que le roman ne rencontrerait que plus tard et que progressivement. Aux côtés de l’émouvante Julie Christie, Omar Sharif était pour beaucoup dans cette réussite. Un jeu d’acteur très sûr, une beauté masculine qui contrastait avec les archétypes du cinéma américain de l’époque, d’immenses yeux noirs d’une profondeur bouleversante : tous les ingrédients d’un succès phénoménal qui serait récompensé par cinq Oscars. Paradoxalement, aucun des deux acteurs principaux ne serait récompensé pour leur performance par l’Academy Awards. Toutefois, Julie Christie serait distinguée par le magazine Life qui proclamerait 1965 « The Year of Julie Christie » tandis que Sharif se consolerait avec un Golden Globe.

Devenu mondialement célèbre, Omar Sharif jouerait par la suite dans des rôles trop divers et bien souvent insipides, en tout cas trop alimentaires – l’acteur laissant alors des fortunes sur les tables des casinos - pour qu’on les retienne : de Gengis Khan à Che Guevara, en passant par le capitaine Nemo … On se souviendrait néanmoins avec attendrissement du Funny Girl de William Wyler, dans lequel Sharif donnait la réplique à Barbra Streisand et, sans doute aussi, du si émouvant Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, film de François Dupeyron tiré du roman d’Eric-Emmanuel Schmitt qui valut à Sharif le César du meilleur acteur 2004.


Pour ma part, quand je pense à la noblesse et à l'élégance du monde arabe – et les occasions ne manquent certes pas – me revient à l’esprit la figure d’Omar Sharif, lui qui aura été si longtemps ignoré par les siens parce qu’on le jugeait trop pro-occidental. J’avais eu personnellement l’occasion de le croiser, il y a quelques années, dans la brasserie parisienne d’Auteuil où il avait ses habitudes. Il m'était apparu vieilli, marqué mais restait tout aussi séduisant malgré le poids des ans : modeste, presque timide, foncièrement bon, touchant dans sa façon dépourvue d’ostentation de suggérer qu’il avait quelque part gâché sa vie. Sa disparition récente est de celles qui me font devenir un peu plus vieux, même s’il demeurera éternellement à mes yeux dans la jeunesse de ce Jivago qui aura ébloui mon adolescence. A propos, d’ailleurs, ma fille se prénomme Lara …