Les grandes
orgues sont convoquées par notre gauche française à la gloire du dictateur
cubain qui vient de trépasser. Nostalgie ? Imposture ? Les deux, mon colonel.
La
mort de Fidel Castro va sans nul doute donner lieu à un de ces
scandales intellectuels dont notre gauche est si friande, par le biais
d’une falsification grossière de l’Histoire. Procès d'intention ? Voire.
Ne
perdons pas de vue, à cet égard, que la France reste le seul pays
occidental d’importance où survit un parti communiste. Et il n'y a pas
grand monde pour s'en émouvoir ou pour trouver aujourd'hui indécent que
ses dirigeants tressent les louanges d'un Castro qui aura bel et bien ruiné son
pays. Le communisme ? Oui, encore et toujours malgré l’effondrement du mur de Berlin et la
décrépitude pitoyable du bloc communiste est-européen, il y a maintenant
vingt-sept ans ; malgré les révélations sur le régime soviétique, sur
les purges staliniennes, les procès de Moscou et le goulag ;
malgré le fameux « Grand Bond en avant » de Pékin qui ne fut, en
réalité, qu’un recul économique effroyable acculant à la famine des
dizaines de millions de Chinois ; malgré les crimes en cascade de Mao,
le Grand Timonier ; malgré les régimes fantoches d’Albanie et
d’Allemagne de l’Est, hier, de Corée du Nord aujourd’hui.
Malgré
tout cela, le communisme garde encore pignon sur rue chez nous sans que
le parti ait jugé bon de reconnaître ses fautes. L’extraordinaire dans
cette affaire est qu’il continue à arborer une façade de respectabilité
sans avoir dû s’excuser pour ses vilénies en cascade. Traître à la
patrie pour désertion, Maurice Thorez est toujours considéré comme une
grande figure du prolétariat et fait partie de notre Histoire. On oublie
que Jacques Duclos, cette brave figure de grand-père candidat aux
présidentielles de 1969, fut un exécuteur de basses œuvres ; qu’Aragon
et Césaire furent des staliniens de la plus belle eau, assumés et
décomplexés. On n’accorde aucune importance à ce que tel intellectuel de
gauche aujourd’hui en vue, et plus que jamais donneur de leçons, ait
dénoncé naguère Soljenistyne comme un « imposteur » tout en glorifiant
sans réserve la Chine rouge et sa fameuse « révolution culturelle ». La
mystification de préférence à la vérité, le fantasme de préférence au
réel.
Comment
la génération soixante-huitarde des maoïstes et des trotskystes
serait-elle tentée de faire son autocritique et s'imposer la repentance
qu'elle exige sans vergogne des autres ? Elle détient aujourd’hui tous
les leviers de commande en France. Bien au contraire, avoir été
communiste confère une plus-value inestimable dans notre société et,
pour reprendre un titre de film « Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes ».
Dans la sphère littéraire, s'être trompé, avec Sartre ou non,
représente un titre d’honorabilité incomparable auprès duquel ceux qui
n'ont jamais été dupes, avec Raymond Aron ou d’autres, font pâle figure à
supposer qu'ils ne se retrouvent pas ringardisés. N’a-t-on pas été
jusqu’à prétendre avec légèreté, mais non sans raison, qu’avoir été
communiste représentait en soi un « genre littéraire » ?
Voici
pourquoi, après nous avoir infligé la farce d’un Hugo Chavez érigé en
« héros du peuple », avec les conséquences dramatiques pour les
Vénézuéliens qu’il est aujourd’hui loisible d’observer, nous aurons
droit à l’apothéose avec la disparition du Lider Maximo.
L’ultime « héros » historique de cette farce idéologique dont ceux qui
ont été les petits soldats ou les compagnons de route, tout comme ceux
qui en ont été les instigateurs et sans parler des habituels "idiots
utiles" y compris à droite, vont nous rabâcher les mérites ou la
dimension hors normes. Vous comprenez, Castro c'est l'histoire du XXe
siècle ... comme si faire partie de l'histoire pouvait absoudre de tous
les crimes et de toutes les erreurs.
Seuls
les plus lucides, ou ceux qui ne bradent pas la véracité des faits,
savent qu’il fut un dictateur impitoyable de même que "Che" Guevara,
autre icône du régime, fut un tortionnaire innommable avant d'être promu
en "héros romantique". Non, n'en déplaise au photographe Alberto Korda qui sut si bien mettre en scène le "commandante", Guevara n'était ni un poète ni un humaniste.
Il a d'ailleurs eu la fin qu'il méritait : non pas tant liquidé par les
Américains que lâché par les paysans boliviens qu'il tentait de
circonvenir ou d'entraîner dans ses chimères démentes.
Fidel
Castro, lui, aura surtout été un faussaire génial. Il me revient ainsi
le souvenir d'un film réalisé par le cinéaste communiste Chris Marker
qui n’était en fait que la mise en images d’un discours-fleuve de plus
de quatre heures prononcé par le leader cubain à La Havane. Ce discours était
celui de la reconnaissance d’un échec économique, à l’occasion d’un pari
perdu, celui de la grande zafra (récolte de canne à sucre) de 1970 où
l’objectif de production n’avait pas été atteint. Castro avait alors réussi
le tour de force de faire d’un pari incontestablement perdu un triomphe
de "franchise révolutionnaire". Entre parenthèses, chez nous aussi
Hollande perd ses paris mais, et cela n’étonnera personne, avec beaucoup
moins de talent ou d'imagination. Castro, lui au moins, n'invoquait pas
son "manque de bol" …
Bien
sûr, à Cuba demeure le folklore, les havanes, le soleil couchant sur le
Malecon voire la mystique plus récente qui se rattache au Buena Vista Social Club. Mais peut-être serait-il temps d’en sortir et d’en dissocier le castrisme qui reste une calamité objective.
En
tout cas, ce n’est pas avec Hollande qu’on en sortira, lui qui s’est
déclaré encore récemment fasciné par le castrisme. Tout autant du reste
que la gauche française reste fascinée par le communisme. On va donc
nous rejouer la geste révolutionnaire ad nauseam
ainsi que, corrélativement, la mise au pilori du si méchant
impérialiste américain. Il est vrai que, de nos jours, le « méchant »
est quasiment venu à récispicence grâce à Obama qui n' pas manqué de se
fendre d’un hommage appuyé pour saluer la mémoire de Castro. Qu’en
pensent les exilés cubains ou encore les centaines de milliers de
victimes de cette dictature qui aura écrasé politiquement et ruiné
économiquement l’île de Cuba pendant près de soixante ans ? Le président
américain sortant s’en moque sans doute comme d’une guigne. Lui aussi
conservera inébranlablement sa mystique et continuera à être vénéré par
les élites occidentales, malgré son bilan désastreux de politique
internationale et le désaveu peu glorieux que représente l'élection de
Trump. Quant à ces élites, germanopratines ou autres, elles continueront de pérorer en
occupant bec et ongles le devant de la scène. Pour une fois, elles
pourront entonner l'antienne de ces beaufs qu'elles se complaisent à
ridiculiser : "c'était mieux avant" ...
Naguère,
lors de la célébration du centenaire de la Commune de Paris, et de la
mascarade y afférente de la glorification du « peuple à l’assaut du
ciel » face aux horribles "versaillais" de Thiers, l’historien Max Gallo
avait justement dénoncé le scandale intellectuel d’une héroïsation
aussi dérisoire qu’imaginaire par la gauche française. Il se confirme
que celle-ci n’est jamais en retard d’une falsification, même s’il est
vrai que son refus obstiné du réel ne lui laisse guère d’autre choix.