Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

jeudi 20 octobre 2016

Elections américaines : le grand gâchis



A quelques semaines du scrutin, Donald Trump a déjà quasiment perdu l’élection présidentielle. Il ne doit s’en prendre qu’à lui-même. Mais était-il fait pour la politique ?

Les jeux sont faits et rien ne va plus, comme on dit à Las Vegas où s’est déroulé le dernier débat entre Hillary Clinton et Donald Trump. Les jeux sont tellement faits que l’ex-First Lady est pratiquement sûre à présent d’être élue, le 8 novembre prochain, quarante-cinquième président des Etats-Unis. Rien ne pourra plus inverser une tendance qui lui est désormais archi-favorable et aucun « accident » ou événement imprévu ne pourra empêcher son sacre.

Première femme à accéder à la Maison Blanche, Mme Clinton devra cependant s'employer à faire oublier une élection qui aura été tout sauf glorieuse. C’est la première fois, en effet, que les deux grands candidats en présence sont tous deux rejetés par une majorité de l’électorat. Le gagnant est ainsi un vainqueur par défaut, ce qui aura, au début de son mandat en particulier, une influence évidente sur sa façon de gouverner.

Peu enthousiasmante, cette élection aura surtout été un gâchis monumental, en grande partie du fait de Donald Trump. On put croire un temps, juste après la Convention nationale républicaine, que celui-ci pourrait faire jeu égal voire menacer sa concurrente républicaine. A cette époque, pas si lointaine, les deux candidats étaient presque au coude à coude dans les sondages. Trump disposait d’atouts bien réels : le rejet de plus en plus vif de l’Amérique profonde pour ses élites, le déni par l'establishment de problèmes bien réels comme l’immigration ou encore la lassitude de l’électorat envers la famille Clinton.

Mais Donald Trump se sera en un sens sabordé en se montrant incapable d’utiliser intelligemment et efficacement de tels atouts. Surtout, il aura largement contribué à abaisser la campagne électorale à des empoignades de caniveau qui ne sont pas dignes de la démocratie américaine. Certes, il n’y aura pas peu été poussé par certains milieux démocrates aussi peu scrupuleux que lui, sans parler par cette partie de la presse, New York Times en tête, prête à tout et en tout cas peu rebutée à l’idée de remuer la boue. Il n’en demeure pas moins que le principal responsable de cette situation lamentable est Trump lui-même.

Sans doute l’aura-t-on mal jugé car il s’est avéré pire que ce qu’on croyait. Un nouveau Reagan, prétendaient certains spécialistes, ceux en tout cas qui se souvenaient que le « grand communicateur » avait été traité de « fasciste » en son temps : sauf que l’ancien président bénéficiait d’un bon sens évident, avait assimilé les règles de la politique et avait du reste à son crédit une expérience non négligeable de gouverneur de Californie. Un provocateur calculé, présumaient d’autres : à ceci près que Trump n’a jamais su faire la différence entre la provocation nécessaire envers le politiquement correct et le délire verbal incontrôlé.

Le républicain, d’ailleurs lâché par une grande partie des caciques du G.O.P (Grand Old Party), a beau mépriser les us et coutumes de l’élite washingtonienne, il a eu le tort de jeter par-dessus bord dans un même mouvement certains principes inspirés d’une sagesse élémentaire : celui, par exemple, consistant à ne pas dire forcément les choses qu’on a envie de dire et surtout pas quand on en a envie ; ou encore, celui consistant à ne pas confondre la transgression, parfois utile, et l’outrance, toujours contre-productive.
 
On en conclut aujourd'hui, sans grande crainte de se tromper, que Donald Trump s’est autodétruit faute d’avoir su conserver bon sens et mesure à son action comme à ses propos. Mais en a-t-il jamais été pourvu ?  Au fond, Trump restera dans l'histoire comme celui qui aura misé en politique comme d'autres le font au poker ou à la roulette, en considérant que l’ampleur de sa mise est le critère primordial de la réussite. C'est là plus qu'une erreur : une incompréhension fondamentale de la chose politique.

dimanche 16 octobre 2016

Démocratie, avez-vous dit ?




Plus ils deviennent minoritaires, plus ils se heurtent aux réalités ou au simple bon sens, et plus les socialistes se crispent sur leurs visions chimériques.

 Le moins qu’on puisse dire est que nos socialistes, indécrottables donneurs de leçons par ailleurs, ont un rapport pour le moins singulier à la démocratie. Un rapport, en tout cas, très voisin des si regrettables bolcheviks russes d’il y a un siècle. Pour ceux-ci, la démocratie s’identifiait à l’avant-garde éclairée du peuple, entendez le parti communiste. Peu leur importait que les masses approuvent ou non leurs décisions : du reste, les inconscients qui se risquaient à désapprouver étaient automatiquement taxés de contre-révolutionnaires ou encore d’ennemis du peuple et réprimés en conséquence.

Il semble bien que nos socialistes usent de méthodes similaires, en plus soft mutatis mutandis. Ainsi, l’autoritarisme est de rigueur dès que leurs plans se trouvent contrariés, y compris par une opposition majoritaire. Hier, les riverains du 6ème arrondissement de Paris, résidents et commerçants, avaient multiplié les pétitions afin qu’il ne soit pas procédé au réaménagement absolument ubuesque du boulevard du Montparnasse. A l’époque, le maire de Paris Bertrand Delanoë avait fait la sourde oreille malgré les dangers que les nouveaux aménagements, installés à prix d’or, faisaient courir aux personnes âgées déboussolées par des sens de circulation anarchiques. Son hermétisme avait même fait fi des quelques victimes de la circulation routière causées par le fait du prince.

Son successeur, Anne Hidalgo, manifeste la même rigidité en raison de son incapacité intellectuelle, semble-t-il congénitale, à saisir le moindre problème. En dépit des avis archi-négatifs formulés par les commissions techniques, elle a maintenu la fermeture des voies sur berge de la Seine. Grâce à elle et aux quelques élus verts, du moins ceux qui ne passent pas leur temps à harceler sexuellement leurs secrétaires ou leurs partenaires, Paris se transforme en un gigantesque bouchon permanent.

Et ce n’est pas tout car Mme Hidalgo, pensant ainsi – en vain, bien sûr - se trouver une nouvelle raison d’échapper au néant, a jeté son dévolu sur les salles de shoot. Cela fait jeune et moderne, c’est le progrès et l'électorat bobo, qui a tant aimé la loi Taubira sur le mariage pour tous, s'esbaudira sans nul doute d'enthousiasme. Il faut être honnête, elle n’est pas seule à être obsédée par la question puisqu’elle a été rejointe par la ministre de la santé, Marisol Touraine, celle-là même qui a réussi la performance de se mettre à dos par son impéritie, qui n’a d’égal que son obstination arrogante, toutes les composantes de la profession. 

Qu’importe à ces dames, qu’il y ait des riverains et sans doute aussi des enfants qui seront amenés à croiser des camés. Elles campent sur leur bonne conscience qui a valeur de droit à leurs yeux, moyennant quoi le bon peuple n’a qu’à s’incliner devant leurs lumières. Et le droit justement dans tout cela ? L’article L. 3421-1 du Code de la santé publique, assorti éventuellement de l’article 131-6 du code pénal, continue de déclarer illicite l’usage de stupéfiants. Ces dames en rose tentent de sauver les apparences en se parant de pseudo justifications médicales, mais on voit bien que le ressort de toute cette affaire est d’ordre idéologique. D’ailleurs, n’est-ce pas une nouvelle illustration du droit tel que l’avait exposé en 1981 – l’année où, selon Jack Lang, nous sommes passés des ténèbres à la lumière… – l’inénarrable André Laignel : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires » ?

Mais la palme revient, et de loin, à Notre-Dame-des-Landes. Malgré des décisions de justice en cascade autorisant la construction de l’aéroport, malgré un référendum local allant dans le même sens, le gouvernement s’apprête à capituler en rase campagne devant une bande de « zadistes » néologisme inventé pour désigner ces attardés qui sont les héritiers des dinosaures du Larzac, casseurs à l’occasion. Parce que ces inutiles qui vivent sur le dos de la société, électeurs de gauche bien sûr, s’y opposent et parce qu’on sait aussi désormais, grâce à ses (trop) fameuses confidences, que « moi-président » n’y a jamais cru, on s’apprête à abandonner le projet. Une fois encore, comme lors de l'épisode de "Nuit debout" ou lors des exactions commises par des syndicalistes, l'Etat se disqualifie en renonçant à faire appliquer la loi face à une bande d'excités. Ségolène Royal soi-même se prononce contre le futur aéroport. Alors …

Ainsi va la démocratie sauce hollandaise qui, vers la fin, n’en devient que plus insupportablement saumâtre.

jeudi 13 octobre 2016

Une vérité blessante



François Hollande a suscité la colère des juges en critiquant vertement la magistrature laquelle se pose désormais en victime. Certes, il est le chef de l'Etat. Mais est-il pour autant scandaleux de sortir de l'hypocrisie et de désigner enfin le fossé qui existe entre les Français et une justice dans laquelle ils ne se reconnaissent plus ?


Mes followers, comme on dit, m’en seront témoins : je n’ai jamais éprouvé de dilection outrancière pour les socialistes d'aujourd'hui et pas davantage pour leur champion, ce dernier eut-il été choisi par la bouche, si l’on ose dire, de madame Nafissatou Diallo. Pourtant, je dois confesser que dans le tout le déballage médiatico-politique qui entoure aujourd’hui l’ouvrage de Gérard Davet et Patrice Lhomme, la sortie présidentielle sur la magistrature m’a plutôt amusé : « une institution de lâcheté (...). C'est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux... On n'aime pas le politique. »

Amusant car enfin, les propos tenus par le chef de l’Etat l’ont été délibérément, en pleine connaissance de cause, sans le moindre piège de ses interviewers. Il ne s’agit nullement d’une de ces circonstances chafouines ou sous le manteau « à la Buisson » mais de propos dont leur auteur savait pertinemment qu’ils avaient vocation à tomber un jour prochain dans le grand public.

Par parenthèse, on n’ose imaginer le séisme si, d’aventure, c’était Sarkozy qui avait taxé notre magistrature de lâcheté. N’en doutez pas, la gauche enfin réunie aurait enfourché ses grands chevaux et rivalisé de couplets effarouchés pour défendre l’indépendance de la justice et la démocratie. La presse, elle, n’aurait pas eu de mots assez sévères contre celui qu’elle se plait à voir déjà perdre face à Juppé. Quant aux magistrats, on imagine également qu’ils auraient bondi de leur siège – y compris les parquetiers, du reste - comme un seul homme pour river définitivement son clou à leur ennemi privilégié : sans doute l’intéressé aurait-il eu droit, à supposer que cela ne soit pas déjà fait, à une mention spéciale sur le « mur des cons » ? Peut-être aussi, une énième action juridictionnelle contre lui aurait-elle été déclenchée par un de ces magistrats espiègles du Syndicat de la Magistrature - « indépendants », « impartiaux » et tout, et tout - dont on le gratifie habituellement. 

Mais voilà, ce n’est pas Sarkozy qui a parlé mais bien Hollande. Et, disons-le tout net, pour une fois il a eu parfaitement raison. Il faut en effet que cesse cette hypocrisie insupportable par laquelle les juges prétendent en toute bonne conscience avoir le beurre, l’argent du beurre et l’aménité de la crémière. Oui, oui, je veux bien qu’ils soient débordés, qu’ils croulent sous les dossiers, qu’ils manquent de moyens et souffrent de sous-effectifs. Mais ils ne sont guère les seuls en ce cas et l’on ne sache pas, d’ailleurs, qu’on leur ait imposé ce métier.

Il n’en reste pas moins que lorsqu’un magistrat se plante sur un dossier, à savoir commet une faute qui est de son fait, il demeure intouchable et inamovible à la différence, par exemple, de l’avocat qui doit rendre des comptes à son client voire engager sa propre responsabilité. Et pourtant, l’avocat a non moins de contraintes que le magistrat en termes de surcharge de travail et bien davantage de stress dans l’exercice de sa profession.

Donc, si l’on fait le compte, le magistrat reste intouchable quel que soit son niveau de compétence et quelle que soit la qualité de son travail. Il peut se syndiquer et faire publiquement état de ses opinions sans effaroucher sa hiérarchie, surtout – cela va de soi – si lesdites opinions sont de gauche. Il peut se permettre de vilipender voire d’insulter ou clouer au pilori des hommes politiques, faiseurs d’opinion et même victimes sans encourir le moindre retour de bâton. Résumons : non seulement il a tous ces droits et n’a aucun compte à rendre à la société mais le magistrat peut aujourd’hui se mêler ouvertement de politique. Et il faudrait en plus que la classe politique demeure coi et continue de pratiquer ad nauseam la comédie du respect de l’indépendance de la justice ?

Il est plaisant d’entendre le premier président et le procureur général de la Cour de cassation déclarer que les propos du chef de l’Etat soulèvent un «problème institutionnel». On aurait pu entendre tout aussi bien le vice-président du Conseil d’Etat qui est le plus haut magistrat de notre justice administrative. Mais la ficelle serait un peu grosse si ces magistrats espéraient tirer profit de l’incident pour enfoncer le clou de l’indépendance totale et définitive de la justice par rapport aux autres pouvoirs. Il est plus que temps, tonnent-ils,  que la justice «s'émancipe de la tutelle de l'exécutif», héritée d'une «tradition monarchique d'un autre temps ». Parce qu’une justice opaque qui n’a aucun compte à rendre, parce que des magistrats houspillant quotidiennement du haut de leur superbe de jeunes avocats dans les prétoires sont peut-être des modèles de démocratie ?

De grâce, mettons un terme à toutes ces fredaines. Quant au couplet sur la justice « défenseur de l’Etat de droit », certes. Cela ne doit pas nous faire oublier pour autant que la justice est au service de cet Etat de droit sans être pour autant son incarnation exclusive. D’ailleurs, un peu de décence ne serait nullement superflue quand on se souvient quel fut le rôle de la Cour de Cassation et de certains magistrats sous Vichy. Quand on a de tels défenseurs de l’Etat de droit, mieux vaut encore courir le risque de se faire agresser …

Et puis quoi encore ? Plus fondamentalement, comment la justice peut-elle oser espérer se situer sur le même plan que deux pouvoirs – l’exécutif et le législatif - qui, eux, tirent leur pleine légitimité du vote populaire ? Il ne faut tout de même pas rêver car il y a tout de même des limites à la couardise des politiques, ainsi que le suggère du reste Hollande par ses propos. Si les juges la désirent aussi ardemment, cette indépendance totale, il leur faudra en payer le prix : responsabilité pénale des magistrats voire, comme aux Etats-Unis, élection des juges.

En attendant, nos hauts magistrats peuvent bien invoquer une « humiliation » qui leur aurait été infligée, on les plaindra quand on aura le temps. Et Sarkozy alors, placé en garde à vue par une juge qui avait pourtant appelé avec toute la virulence de son idéologie à voter contre lui, n’a-t-il pas été humilié dans l’indifférence totale de la basoche ? 

Le plus tristement hilarant, dans cette histoire, demeure la position de nos barreaux dont la servilité et la pusillanimité n’ont décidément plus de limite. De quoi se mêlent-ils donc en se déclarant « consternés » et « solidaires » des magistrats ? A-t-on jamais vu des juges – même s'il ne faut pas généraliser - s’affranchir de leur arrogance et montrer la moindre compassion envers les avocats ? Le syndrome de Stockholm vient spontanément à l’esprit pour expliquer un tel comportement de ces notables salonnards du barreau. Ou alors, ils ont définitivement intégré le statut de l’avocat qui n’est plus, ainsi que le souhaite la magistrature, qu’un simple « auxiliaire de justice ».  Triste, triste. 

J'ai honte à l'écrire mais, sur ce coup-là, vive Hollande ! Je promets toutefois que je ne le referai plus. D'ailleurs, je n'en aurai sans doute plus l'occasion.

dimanche 9 octobre 2016

Le bon, le très bon, l'excellent M. Cazeneuve




Les petites blagues en moins, Bernard Cazeneuve s'est affirmé, pour le pire, comme un des ministres les plus typiques de la hollandie.

Il est là sans être là. Discret, effacé, poli, le timbre de voix feutré qui sied aux salons où l’on reste entre soi : sous-entendez à l’écart de l’agitation ambiante, loin, bien loin de la populace et de ces démagogues politiquement incorrects qui ont l’outrecuidance de soulever des questions gênantes. Le show off, la flamberge et l’espièglerie sont aussi peu faits pour Bernard Cazeneuve qu’une pelisse en fourrure à un Rwandais.

L’homme est parfaitement lisse et son absence d’aspérité est illustrée par un physique quelconque voire fade : un de ceux dont on ne se souvient guère après l’avoir croisé. Pour n’être pas voulue, une neutralité aussi caricaturale ne semble pas vraiment le chagriner. Il se conçoit au-delà de l’écume des choses comme doit l’être tout homme de pouvoir. Et il relève assurément d’une telle catégorie, minutieux par réflexe, madré sans en donner l’air, rancunier aussi sans doute sous son vernis d’humanité bonhomme.

Il est le ministre de l’intérieur en titre, le successeur des Sarkozy, Joxe, Pasqua ou encore Clemenceau. Des hommes de caractère c'est à dire tout ce qu’il n’est pas car Cazeneuve, lui, n’est qu’un homme de devoir. On l’imaginerait davantage secrétaire d’Etat à l’artisanat ou au commerce extérieur qu’à la place Beauvau mais les nominations ministérielles sont ainsi faites qui obéissent parfois à des considérations étranges. Auparavant, il était passé pour ainsi dire par effraction aux Affaires européennes où l’on se souvient d'ailleurs aussi peu de lui qu’on se souviendra de l’actuel, Harlem Désir. Puis on l’avait retrouvé à Bercy, au Budget en remplacement de Jérôme Cahuzac, s’excusant presque de lui prendre sa place.

Pourtant, en toute circonstance, Cazeneuve fait le job. Le sens de sa mission et la reconnaissance envers le responsable de sa bonne fortune sont une seconde nature chez cet ancien élu de Cherbourg. On l’aura compris, Cazeneuve n’est pas Macron. Nonobstant la courbe du chômage, tout aurait été si bien sans ce terrorisme si inopportun ! Las, c’est bien l'endroit où le bât blesse car ledit ministre s’avère d’une transparence consternante et d’une placidité horripilante face aux drames que traverse la France.

Lors des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher ainsi que de celui du Bataclan, il était une fois encore là sans être là, laissant sans barguigner la vedette à « moi-président » qui s’empressait d’engranger les dividendes politiques de la tragédie. On aurait pu se plaire à imaginer que le ministre se trouvait alors aux manettes, dans l’ombre et la discrétion, pour veiller bec et ongles à la sécurité des Français. Ce n’est guère son style et, depuis l’attentat de Nice, le 14 juillet dernier, on sait que ce n’est pas le cas.

S’il s’est sorti tant bien que mal du procès en incompétence qui lui a été alors intenté et de la polémique qui s’en est suivie, on garde en mémoire les critiques insolentes du journal, pourtant de gauche, Libération dénonçant « les arrangements avec la réalité, l’absence de transparence et donc de responsabilité des services de l’État. »

Bernard Cazeneuve n’a cure de tels remous et, impavide, poursuit son petit bonhomme de chemin comme si de rien n’était. D’ailleurs « moi-président » ne loue-t-il pas son « sang-froid », sa « compétence » et sa « rigueur » ?

Ces tout derniers jours, le ministre de l’intérieur vient de donner un nouvel aperçu de telles qualités estampillées Hollande en s’abstenant soigneusement de réagir au scandale de Farouk Ben Abbès, cet islamiste assigné à résidence au lendemain du Bataclan mais qui continue tranquillement de percevoir le RSA. Pas gênés pour un sou, les services de l’Etat ont cru pouvoir se dédouaner en alléguant que « sa dangerosité supposé ne fait pas partie des critères prévus par les textes … »

Dangerosité seulement « supposée » pour cet individu dûment fiché S ? Bigre ! Or l’excellent M. Cazeneuve n’est pas loin de le penser lui aussi. Il vient ainsi de refuser aux maires, sur ce ton d'indignation prude qui décidément le caractérise, la communication de l’identité de tels ressortissants qui résideraient sur le territoire de leur commune. Raison invoquée : un impératif de « confidentialité » qui, à bien le suivre, s'avère ainsi plus important que l'impératif de sécurité des Français. Certes, les juges et la cour de cassation auraient veillé scrupuleusement à la préservation de l'Etat de droit, oublieux à cet égard des menues espiègleries que leurs devanciers avaient pu commettre sur ce plan à l'époque de Vichy. Mais le ministre aurait pu au moins donner l'impression de ruer dans les brancards et de prendre les Français à témoin ainsi que leurs représentants, ceux qui font les lois. Peine perdue, ce n'est guère son genre : pas un mot plus haut que l'autre, la compassion toujours en bandoulière envers les victimes et le sens des convenances en étendard.

Nous, Français, pouvons néanmoins dormir tranquille. Il se trouve actuellement 15 000 fichés S dans notre beau pays et le ministre nous assure qu’ils sont tous surveillés … tout en s'abstenant de préciser que les forces de l’ordre ne pourront les appréhender qu’une fois seulement leur forfait commis. Pas avant, bien sûr, car ce serait par trop nauséabond. Les convenances, vous dit-on.