François Hollande a suscité la colère des juges en critiquant vertement la magistrature laquelle se pose désormais en victime. Certes, il est le chef de l'Etat. Mais est-il pour autant scandaleux de sortir de l'hypocrisie et de désigner enfin le fossé qui existe entre les Français et une justice dans laquelle ils ne se reconnaissent plus ?
Mes followers, comme on dit, m’en seront
témoins : je n’ai jamais éprouvé de dilection outrancière pour les
socialistes d'aujourd'hui et pas davantage pour leur champion, ce dernier eut-il été choisi
par la bouche, si l’on ose dire, de madame Nafissatou Diallo. Pourtant, je dois
confesser que dans le tout le déballage médiatico-politique qui entoure
aujourd’hui l’ouvrage de Gérard Davet et Patrice Lhomme, la sortie
présidentielle sur la magistrature m’a plutôt amusé : « une
institution de lâcheté (...). C'est quand même ça, tous ces procureurs, tous
ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux... On n'aime pas le
politique. »
Amusant car enfin, les propos tenus par le
chef de l’Etat l’ont été délibérément, en pleine connaissance de cause, sans le
moindre piège de ses interviewers. Il ne s’agit nullement d’une de ces
circonstances chafouines ou sous le manteau « à la Buisson » mais de
propos dont leur auteur savait pertinemment qu’ils avaient vocation à tomber un
jour prochain dans le grand public.
Par parenthèse, on n’ose imaginer le séisme
si, d’aventure, c’était Sarkozy qui avait taxé notre magistrature de lâcheté.
N’en doutez pas, la gauche enfin réunie aurait enfourché ses grands chevaux et
rivalisé de couplets effarouchés pour défendre l’indépendance de la justice et la démocratie. La
presse, elle, n’aurait pas eu de mots assez sévères contre celui qu’elle se plait
à voir déjà perdre face à Juppé. Quant aux magistrats, on imagine également qu’ils
auraient bondi de leur siège – y compris les parquetiers, du reste - comme un
seul homme pour river définitivement son clou à leur ennemi privilégié : sans
doute l’intéressé aurait-il eu droit, à supposer que cela ne soit pas déjà fait,
à une mention spéciale sur le « mur des cons » ? Peut-être
aussi, une énième action juridictionnelle contre lui aurait-elle été déclenchée
par un de ces magistrats espiègles du Syndicat de la Magistrature - « indépendants », « impartiaux » et tout, et tout - dont
on le gratifie habituellement.
Mais voilà, ce n’est pas Sarkozy qui a parlé
mais bien Hollande. Et, disons-le tout net, pour une fois il a eu parfaitement
raison. Il faut en effet que cesse cette hypocrisie insupportable par laquelle
les juges prétendent en toute bonne conscience avoir le beurre, l’argent du beurre et l’aménité de la
crémière. Oui, oui, je veux bien qu’ils soient débordés, qu’ils croulent sous
les dossiers, qu’ils manquent de moyens et souffrent de sous-effectifs. Mais
ils ne sont guère les seuls en ce cas et l’on ne sache pas, d’ailleurs, qu’on leur ait
imposé ce métier.
Il n’en reste pas moins que lorsqu’un
magistrat se plante sur un dossier, à savoir commet une faute qui est de son
fait, il demeure intouchable et inamovible à la différence, par exemple, de
l’avocat qui doit rendre des comptes à son client voire engager sa propre
responsabilité. Et pourtant, l’avocat a non moins de contraintes que le
magistrat en termes de surcharge de travail et bien davantage de stress dans
l’exercice de sa profession.
Donc, si l’on fait le compte, le magistrat reste
intouchable quel que soit son niveau de compétence et quelle que soit la
qualité de son travail. Il peut se syndiquer et faire publiquement état de ses
opinions sans effaroucher sa hiérarchie, surtout – cela va de soi –
si lesdites opinions sont de gauche. Il peut se permettre de vilipender voire
d’insulter ou clouer au pilori des hommes politiques, faiseurs d’opinion et même victimes sans
encourir le moindre retour de bâton. Résumons : non seulement il a tous ces
droits et n’a aucun compte à rendre à la société mais le magistrat peut
aujourd’hui se mêler ouvertement de politique. Et il faudrait en plus que la
classe politique demeure coi et continue de pratiquer ad nauseam la comédie du
respect de l’indépendance de la justice ?
Il est plaisant d’entendre le premier président et le procureur général de la Cour de
cassation déclarer que les propos du chef de l’Etat soulèvent un «problème
institutionnel». On aurait pu entendre tout aussi bien le vice-président du
Conseil d’Etat qui est le plus haut magistrat de notre justice
administrative. Mais la ficelle serait un peu grosse si ces magistrats espéraient tirer profit de l’incident pour enfoncer le clou de l’indépendance
totale et définitive de la justice par rapport aux autres pouvoirs. Il est plus
que temps, tonnent-ils, que la
justice «s'émancipe de la tutelle de l'exécutif», héritée d'une «tradition
monarchique d'un autre temps ». Parce qu’une justice opaque qui n’a aucun
compte à rendre, parce que des magistrats houspillant quotidiennement du haut
de leur superbe de jeunes avocats dans les prétoires sont peut-être des modèles
de démocratie ?
De grâce, mettons un terme à toutes ces
fredaines. Quant au couplet sur la justice « défenseur de l’Etat de
droit », certes. Cela ne doit pas nous faire oublier pour autant que la
justice est au service de cet Etat de droit sans être pour autant son
incarnation exclusive. D’ailleurs, un peu de décence ne serait nullement superflue
quand on se souvient quel fut le rôle de la Cour de Cassation et de certains magistrats sous Vichy. Quand on a
de tels défenseurs de l’Etat de droit, mieux vaut encore courir le risque de se faire agresser …
Et puis quoi encore ? Plus
fondamentalement, comment la justice peut-elle oser espérer se situer sur le
même plan que deux pouvoirs – l’exécutif et le législatif - qui, eux, tirent
leur pleine légitimité du vote populaire ? Il ne faut tout de même pas
rêver car il y a tout de même des limites à la couardise des politiques, ainsi
que le suggère du reste Hollande par ses propos. Si les juges la désirent aussi
ardemment, cette indépendance totale, il leur faudra en payer le prix :
responsabilité pénale des magistrats voire, comme aux Etats-Unis, élection des
juges.
En attendant, nos hauts magistrats peuvent bien invoquer une
« humiliation » qui leur aurait été infligée, on les plaindra quand on
aura le temps. Et Sarkozy alors, placé en garde à vue par une juge qui avait pourtant
appelé avec toute la virulence de son idéologie à voter contre lui, n’a-t-il
pas été humilié dans l’indifférence totale de la basoche ?
Le plus tristement hilarant, dans cette histoire,
demeure la position de nos barreaux dont la servilité et la pusillanimité n’ont
décidément plus de limite. De quoi se mêlent-ils donc en se déclarant
« consternés » et « solidaires » des magistrats ?
A-t-on jamais vu des juges – même s'il ne faut pas généraliser -
s’affranchir de leur arrogance et montrer la moindre compassion envers les
avocats ? Le syndrome de Stockholm vient spontanément à l’esprit pour
expliquer un tel comportement de ces notables salonnards du barreau. Ou alors, ils
ont définitivement intégré le statut de l’avocat qui n’est plus, ainsi que le
souhaite la magistrature, qu’un simple « auxiliaire de justice ». Triste, triste.
J'ai honte à l'écrire mais, sur ce coup-là, vive Hollande ! Je promets toutefois que je ne le referai plus. D'ailleurs, je n'en aurai sans doute plus l'occasion.