Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

lundi 16 janvier 2017

Perseverare diabolicum



Après avoir majoritairement pris position contre Trump durant la campagne électorale, les médias ne sont pas prêts à désarmer.

Décidément, ils n’ont rien appris ni rien retenu et il est probable qu’on est reparti pour un voire plusieurs tours. On aurait pu penser benoîtement que les médias des deux côtés de l’Atlantique auraient compris la leçon de l’élection de Donald Trump. Sinon pour être ramenés à une plus grande modestie – ne rêvons pas tout de même – du moins pour réfréner quelque peu la partialité notoire de leurs commentaires.

Eh bien, nous voici édifiés avant même l’« inauguration » du président-élu. Certes, en France nous devrons désormais nous passer des réflexions de Laurence Haïm, correspondante à la Maison Blanche pour le groupe Canal, qui n’aura cessé, pendant huit longues années, de nous asséner inconditionnellement l'éloge et le panégyrique d'Obama.  On peut comprendre son dépit, elle qui aura joué aussi ouvertement et avec autant de constance à l’antenne les supplétives d’Hillary Clinton durant toute la campagne électorale. Aujourd’hui d’ailleurs, madame Haïm confirme rétrospectivement sa pente idéologique naturelle en ralliant en France, à grands coups de tambour médiatiques comme il se doit, l’équipe de campagne  d’Emmanuel Macron. CQFD. 


S’il n’y avait que cela ! Admettons volontiers que Trump n’est pas encore entré dans ses habits présidentiels et qu’il reste un provocateur doté de la finesse et de la délicatesse d’un panzer. Pourtant, on aurait pu s’attendre à ce que les médias s’inclinent, fût-ce de mauvaise grâce, devant son élection et fassent preuve dorénavant d’une objectivité minimale. Il n’en est rien. On perçoit bien, dès à présent, qu’ils ne pardonneront rien à celui qui aura eu l’audace de démentir leurs pronostics ou leurs inclinations et d’asséner une claque magistrale au politiquement correct des élites.


Il suffit d’ouvrir le moindre journal ou magazine pour comprendre que nos chroniqueurs et commentateurs, ceux-là même qui se sont lamentablement trompés sur la signification de l’élection américaine, vont continuer derechef à pérorer sur l’amateurisme ou à gloser sur la dangerosité du quarante-cinquième président. Il suffit de se caler sur la moindre chaîne dite d’info pour avoir la confirmation que rien n’a vraiment changé au sein de ce microcosme. La complaisance des médias persistera à adouber ceux qui, en Amérique, dénient encore toute légitimité à l’élection de Trump. Nous montre-t-on un jean et un T-shirt ? Les "jeunes" sont contre Trump. Nous exhibe-t-on le premier Noir - pardon, "Afro-américain" en nov'langue - venu portant pancarte ? Trump est raciste. On le disait déjà de W. Bush avant qu'il ne nomme Colin Powell puis Condoleeza Rice au poste de Secrétaire d'Etat.


Trump aurait-il donc volé l'élection ? Hélas pour eux, n'était leur hargne en guise de justification, les contestataires sont dans l’incapacité d’en apporter le moindre commencement de preuve. Au passage, tel réflexe de mauvais perdant en dit long sur ces prétendus démocrates qui ne sont légitimistes que dans la mesure où triomphent leurs propres champions.


On aura droit désormais aux trublions éructant « le fascisme ne passera pas » à la sauce américaine, tout comme leurs devanciers l’avaient fait naguère avec Ronald Reagan. On aura droit à de gros plans quotidiens sur ces manifestants qui condamnent la nouvelle politique avant même qu’elle n’ait été mise en œuvre voire définie, tout comme naguère les gauchistes fervents de LSD critiquaient le Républicain Nixon, le jour même de son investiture, sur … le Vietnam dont étaient entièrement responsables les administrations démocrates précédentes de Kennedy et Johnson.


Ils ne sont que de petites poignées, ces agitateurs et protestataires, mais à en croire nos chers médias ils seraient presque des millions. A les suivre, ils seraient presque sur le point de bloquer l’investiture de Trump au Capitole : une véritable armée, une vague irrésistible qui emporterait tout sur son passage, on vous le prédit doctement. On fantasme, bien sûr.


Sans parler d’Hollywood qui, sans surprise, marche à fond contre Trump. Ah, comme on les aime en France ces stars – Meryl Streep en tête – qui se mêlent de politique et administrent à la volée des leçons de démocratie sinon de bienséance. Quel courage de la part de ces célébrités qui savent qu’elles resteront intouchables, tout en continuant d'évoquer leur hypothétique exil et, cela va de soi, d'engranger leurs cachets pharamineux ! Que la politique serait simple si l’on en confiait exclusivement les clefs aux élites et non à ces péquenots du Midwest. Le bling-bling façon Sarkozy a beau avoir été abhorré chez nous. Il redevient curieusement respectable lorsque c’est Obama qui en joue et lorsque le monde du spectacle, toutes paillettes dehors, se dresse vent debout contre son successeur.  


Et la morale pour couronner le tout, ces parangons de vertu que nos médias ne manquent jamais de mettre en exergue. Dernier avatar en date : les « Pussy Hats », jeu de mot transparent qui renvoie à « Pussy Cat » mais surtout à « Pussy » qui désigne aussi le sexe féminin. L'élégance perdra ce que l'humour est supposé gagner, mais passons. Ces féministes anti-Trump seraient, paraît-il, scandalisées par le sexisme du nouveau président. Il est seulement dommage que ces mêmes pasionarias n’aient pas fait montre d’une pareille indignation lors de la présidence Clinton. On ne sache pas que se faire administrer une fellation par une jeune stagiaire, à l'intérieur même de la Maison Blanche, soit la preuve d’un respect immodéré pour la femme. D'ailleurs le Donald s’est contenté de paroles grivoises tandis que Bill, lui, est passé à l’acte et plus d’une fois. Quelle mine peuvent avoir ces mêmes féministes, celles-là même qui déblatèrent déjà sur Melania Trump, au regard d’Hillary Clinton qui aura passé toute son existence à ravaler sa fierté et sa dignité face aux infidélités chroniques de son mari, à seule fin de ne pas compromettre sa propre carrière politique ?

Toutefois, n’en déplaise aux fâcheux ou aux démocrates à géométrie variable, il n'en demeure pas moins que Trump est le nouveau président. Il se peut que cette seule évidence reste en travers de la gorge de tous ceux qui ne peuvent plus décemment crier à la tricherie et ne peuvent pas davantage changer ce peuple coupable d’avoir mal voté. Mais on comprend par là même que la presse et les canaux d’information vont continuer encore longtemps, jour après jour, à déverser leur bile et, hélas aussi, à … nous désinformer.

dimanche 1 janvier 2017

L’inculture au pouvoir ?



La France, patrie de la culture. Soit, à condition toutefois de ne pas inclure dans une telle autocélébration nos … ministres de la culture.
 
Dans sa dernière livraison, le Figaro Magazine consacre son thème central aux « cinquante raisons d’aimer la France ». L’intention est louable et l’hebdomadaire a l’intelligence de ne pas verser dans un irénisme béat. Il souligne ainsi, parmi les motifs de fierté nationale, qu’une bonne quinzaine de nos compatriotes ont été lauréats du prestigieux prix Nobel de littérature, les deux derniers étant des romanciers pas encore décatis ou figés dans la cire des musées : Jean-Marie Gustave Le Clézio, en 2008, et plus récemment Patrick Modiano en 2014. Fort bien ! 

Pour faire bonne mesure, le FigMag cite Douglas Kennedy. Le romancier américain à succès qui vit aujourd’hui à Paris déclare adorer ce pays où, de sa concierge au moindre chauffeur de taxi, « tout le monde lit ». Tout le monde ? Voire. Peut-être ne l’a-t-on pas informé que, pour dénoter un enthousiasme de bon aloi, sa formule généreusement unanimiste ne s’appliquait pas forcément à nos ministres de la culture.

Bornons-nous seulement à considérer les derniers en date, afin qu'un André Malraux ne puisse se retourner dans sa tombe. Aurélie Filippetti ? Cette normalienne pourtant cultivée n’avait qu’un défaut mais de taille : quoique ministre de la République, elle estimait qu’il lui incombait de ne s’adresser qu’au peuple de gauche, y compris en matière de culture. Aussi tirait-elle une certaine gloire d’ignorer systématiquement tout ce qui comportait un arrière-goût de droite, forcément « rance » et « nauséabond » suivant la doxa en vigueur. Moyennant quoi, cette même Filippetti qui n’hésitait pas à se lamenter en public au moindre trépas d’écrivaillon exaltant les rappeurs ou le « vivre ensemble », demeura d’un mutisme insultant à la mort d’un Gérard de Villiers. Entendons-nous : on peut fort bien ne pas apprécier de Villiers et ne pas crier au prodige littéraire à la lecture des aventures estampillées SM du fameux prince Malko. Il n’en reste pas moins que le phénomène éditorial qu’il représentait était à sa manière significatif de notre France, et pas plus méprisable d’ailleurs que certaines manifestations soi-disant culturelles de nos bobos bien en cour.
 
Mais passons car le meilleur restait à venir avec la femme qui lui succéda au ministère de la rue de Valois, Fleur Pellerin. Invitée sur émission de Canal + en octobre 2014, celle-ci s’était montrée incapable de citer le moindre titre de livre de Patrick Modiano qui venait d’être couronné prix Nobel de littérature. Non seulement la ministre n’avait pas cru bon de s’excuser pour ce flagrant délit d’inculture – conjugué d’ailleurs, au cas d’espèce, à un manque de professionnalisme tout aussi évident – mais elle avait tancé le journaliste d’importance, arguant qu’elle était bien trop occupée pour lire la prose de l’écrivain français.

Qui s’était ému alors de la sortie de Fleur Pellerin, cette ministre de la « culture » qui se vantait de préférer les textes de loi voire les dépêches de l’AFP à nos romanciers ? Essentiellement la presse étrangère : le Guardian britannique titrant ironiquement « Modiano qui ? » et la presse espagnole évoquant pour sa part, à juste titre, « une inculture faisant honte à la France ». Quant à la presse française, elle s’était montrée plutôt indulgente à l’endroit de la ministre, révélant ainsi le niveau d’exigence dramatiquement bas qui est désormais le sien. L’hebdomadaire Le Point avait même cru devoir voler à la rescousse de madame Pellerin. Il avait fallu en définitive le Huffington Post pour sauver l’honneur par la plume de Claude Askolovitch qui avait parlé de «barbarie» et suggéré à la ministre de démissionner pour prendre le temps de se plonger dans notre littérature nationale.

Démissionner ? Mazette, on n’abandonne pas un maroquin pour si peu. D’ailleurs la liste des bévues ministérielles n’est peut-être pas tout à fait close si l’on en juge d’après la réaction plutôt minimaliste de la ministre Audrey Azoulay, successeur de madame Pellerin, lors du décès de Michel Déon. Outre le fait qu'il s'agit en l'occurrence d’un académicien, et même le doyen d’âge de la prestigieuse compagnie, nous avons affaire en la personne de Déon à un représentant majeur de nos lettres françaises. Quoi qu'il lui en coûtât, la ministre ne pouvait décemment rester sur son quant-à-soi après les hommages appuyés de la secrétaire perpétuelle Hélène Carrère d’Encausse ou d’un homme de lettres, académicien distingué, aussi reconnu que Jean d’Ormesson ; ou encore du mécène de gauche Pierre Bergé qui a salué, ce qui est tout à son honneur, un "très bon écrivain" qu’il respectait « car il savait lire ».

Mais pourquoi donc le communiqué ministériel à la suite du décès de l’auteur des « Poneys sauvages » ou du « Taxi mauve » a-t-il relevé davantage du minimum syndical que de l'hommage digne, dû au rayonnement de son auteur ? Il faut bien relire les termes de ce communiqué dont le laconisme entend se justifier en creux par l’évocation de la proximité passée de Déon avec Charles Maurras.

Maurrassien ? Oui, Michel Déon l’a été de toute évidence et l’est resté, ne reniant pas ses responsabilités passées au sein de l’Action française. Antigaulliste ? Oui, il l’a été aussi et ne s’est pas davantage renié - à la différence des si nombreux "gaullistes" de la onzième heure - demeurant fidèle à ses idéaux de jeunesse. Etait-ce une raison valable pour ne retenir de lui que ce qui était susceptible de faire consensus à savoir son attachement pour cette terre irlandaise où il a si longtemps vécu et où il est mort ? Telle réduction peut légitimement choquer car Michel Déon, comme tout autre écrivain, forme un tout qu’on ne peut dissocier et dont on ne peut décemment retenir que ce qui est susceptible d’être admis par le politiquement correct. 

Déclarer n’aimer de Michel Déon que ce qui convient aux arbitres du « convenable », c’est de la politique. Aimer simplement Michel Déon sans la moindre discrimination, mais sans être dupe ou sans abandonner son sens critique pour autant, c’est de la culture au sens le plus noble. Mais nos ministres de la culture sont-ils seulement capables d’en saisir la différence ? Décidément, entre la politique et la culture, jamais l’écart n’a paru aussi dramatique.