Tandis
que l'élection présidentielle approche et que l’élite parisienne n’en
finit plus d’adouber des vainqueurs à son image, la France profonde a le
mauvais goût de penser différemment.
Les
conversations parisiennes sont parfois instructives. Certes, elles
confinent souvent au papotage, alimentant ces rumeurs et faux-bruits qui
font les délices du microcosme. Mais gare aux addictions ! « Jaser »,
comme disent nos amis québecquois, c’est un peu comme rester planté
devant les chaînes infos. Au début on reste un peu pantois puis on se
laisse prendre au jeu volens nolens, jusqu'à tenir pour vérité certaine un commentaire de « leader d’opinion » méthodiquement asséné.
C’est grave docteur ? Non, pas vraiment pour peu qu’on parvienne à retrouver ses esprits et mettre de la distance avec les jugements péremptoires des uns ou les soi-disant scoops
sensationnels - chuchotés sur le mode "surtout ne le répétez pas" - des
autres. Ce n'est pas si simple. Ainsi, que n’aura-t-on ainsi entendu
susurrer au fil des mois sur l’élection présidentielle !
Il
y a un an d’ici, Hollande était quasiment sûr de gagner, fort de sa
réputation de « malin ». Oui mais voilà, à un certain degré la malice
demeure impuissante face aux réalités surtout si celles-ci se font
cuisantes. A l’inverse, il y avait ceux qui tablaient mordicus sur un
retour « évident » de Sarkozy : un retour irrésistible, supposé tout
emporter sur son passage. On sait ce qu'il en advint. Puis arriva le
temps des « pundits »
comme disent nos voisins anglo-saxons - spécialistes et experts en tous
genres - qui nous jurèrent que Macron, en pleine gestation de son
mouvement « En Marche », roulait en fait pour Hollande. On en
rit encore. En ces moments d'où le mépris n'était guère absent, on nous
renvoyait aussi en pleine figure les sondages définitifs consacrant à
l’unanimité Juppé vainqueur dans tous les cas de figure. On raconte que
les partisans du maire de Bordeaux ont conservé de cette aventure
quelques ulcères à l'estomac tenaces. Dernièrement encore, au sortir de
la primaire à droite qui avait suscité – du moins le croyait-on - la
« surprise de l’année », Fillon était donné gagnant « les doigts dans le
nez ». C’était il y a trois mois à peine. Une éternité.
Et
aujourd’hui ? Les politologues incontournables de la vie parisienne,
ceux-là même qui nous prédisaient avec la componction feutrée des happy few
connaissant le dessous des cartes la victoire de tel ou tel,
pronostiquent un match de second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le
Pen, le premier étant évidemment destiné à l’emporter sur la seconde au
finish. Peut-être ont-ils raison, qui sait ? Et d’ailleurs, convenons
équitablement qu’il serait malvenu de leur jeter la pierre puisque tout
le monde, dans cette affaire, se sera fourvoyé à un moment ou à un
autre. Est-on même au bout de nos étonnements à quelque huit jours du
premier tour avec quatre candidats se tenant dans un mouchoir à la
limite de la marge d’erreur des sondeurs ?
Au
demeurant, ceux qui professaient doctement qu’Hollande était un
« malin » ne se seront pas trompés non plus. Si le bilan du sortant est
singulièrement désastreux au point de l'empêcher de se représenter –
même sur la politique étrangère, que le dernier carré d'indulgents
entend placer à son crédit mais qui n’aura pas réussi à sauver ou à
crédibiliser le quinquennat – il sera tout de même parvenu à laisser
derrière lui un champ de ruines après avoir torpillé à la fois la gauche
et la droite. Une performance, convenons-en, pour le moins inédite et
qui, en toute vraisemblance, ne sera pas de sitôt égalée.
La
gauche ? Cela faisait certes des lustres qu’elle se trouvait dans un
piteux état sur le plan idéologique, faute d’avoir su réaliser son aggiornamento
et, plus précisément, ce que les socialistes allemands avaient accompli
à Bad Godesberg …il y a presque soixante ans ! Entre réforme et
révolution, entre réalité et utopie, entre le capitalisme et "une autre
logique" (suivant l'ineffable expression de Jacques Attali) la gauche
française n’a jamais été capable de choisir. Mais il ne fait guère de
doute qu’Hollande - en successeur lointain, par le talent, de Mitterrand
qui fut le grand maître de l'ambiguïté - lui a donné le coup de grâce
par la vertu, à oser cette antiphrase, d’une politique louvoyante et
chafouine.
La
droite ? Elle traînait la réputation de « la plus bête du monde », pour
reprendre le mot d’une cruauté méritée provenant de Guy Mollet. Et
d’ailleurs, elle n’aura cessé de le confirmer au cours de ces dernières
années : ici, en portant à sa tête, ce champion de la traîtrise tous
azimuts qu'était Jacques Chirac – ses victimes les plus éloquentes,
rappelons-le à toutes fins utiles aux amnésiques,
ayant été Chaban-Delmas puis Giscard d’Estaing – avant qu'il ne
devienne le « roi fainéant » dramatiquement inconsistant, ne jurant que
par le "vivre ensemble" et les arts premiers ; là, en sabordant
stupidement Nicolas Sarkozy en 2012, au nom du "tout sauf Sarkozy" et de
prétendues "convenances" anti-bling-bling, moyennant quoi on hérita de
"Moi Président" et de son coiffeur à 10 000 euros mensuels ; là encore,
en se donnant tristement en spectacle, cette même année, à l’occasion de
la lamentable querelle de chiffonniers entre Copé et Fillon pour la
direction de l’UMP. On pensait alors, à droite, avoir touché le fond. On
se trompait lourdement car il restait la cerise sur le gâteau à savoir
le psychodrame de la lente et douloureuse descente aux enfers du
candidat Fillon, celui-là même à qui était promise une victoire
« certaine ».
Il
faut bien admettre qu’au-delà des chicayas médiocres et autres
turpitudes propres à la droite, Hollande aura largement contribué à lui
asséner la chiquenaude finale. Bien sûr, objecteront les puristes si
prompts à fustiger certaines indulgences qu’ils se consentent à
eux-mêmes sans barguigner, si Fillon n’avait pas commis les erreurs
qu’on sait – dussent-elles s'avérer légales – et surtout s’il ne s’était
pas posé en parangon de vertu, il n’en serait pas là aujourd’hui. Mais,
sans revenir sur le détail d’une machination au cours de laquelle
l’Elysée, la magistrature et les médias ont marché objectivement main
dans la main, on s’apercevra sans doute plus tard – trop tard – que
ladite machination a été soigneusement orchestrée au plus haut niveau de
l’Etat. Pour plagier en clin d'oeil l'immense Diderot, comment imaginer
que cette horloge si bien huilée n'ait pas d'horloger ?
En
attendant, si Christian Paul, un des leaders des frondeurs, entend
conseiller charitablement à Hollande de faire son « examen de
conscience », l’intéressé demeure impavide, multipliant ses petites
blagues et commentaires plus ou moins explicitement pro domo à la presse, comme si de rien n’était.
Le
chaos actuel de la vie politique française ? Il ne s’en considère pas
le moins du monde responsable. Pire encore, il a le culot de soutenir,
en adoptant le point de vue de celui qui ne se sent pas du tout
concerné, que cette « campagne sent mauvais ». Il est vrai qu’il est
plus valorisant pour lui de continuer à jouer les commentateurs de
l’actualité – ce qu’il persiste à faire, non sans lourdeur le plus
souvent, depuis cinq ans – avec ses copains journalistes que de
s’impliquer dans le malaise des prisons ou dans la crise en Guyane :
certes, dans les deux cas, on conçoit qu'il serait obligé de mettre en
cause l’« icône de la gauche » … une certaine Christiane Taubira à qui
cette même gauche, rappelons-le, doit son succès mémorable du 21 avril
2002.
Si
cette campagne sent effectivement mauvais, Hollande reste égal à
lui-même en affirmant vouloir faire confiance à « l’intelligence des
Français ». L’intelligence ? Celle des électeurs de 2012, pardi ! Pour
peu que Macron lui succède à l'Elysée, Hollande
en arriverait presque à se faire des idées et à penser qu'il s'agit-là
d'un hommage indirect rendu par les Français à son quinquennat. Ben
voyons, comme dirait l'autre ! Décidément, en empruntant cette fois à Michel Audiard, "ça ose tout" ...