Les sex symbols du grand écran ont bien changé en quelques générations. Et pourtant, la sensualité comme la suggestion du désir restent quasiment les mêmes.
A l’occasion de l’ouverture de la Mostra de
Venise, j’ai été convié par une radio périphérique à deviser sur les sex symbols du cinéma italien. Vaste
sujet qui m'est cher comme l'est plus généralement ce cinéma de Cinecittà sur lequel j'ai commis l’année dernière une histoire
en forme de chronique consacrée à son âge d'or (1945-1975).
En fait, chacun d’entre nous ou presque a sa propre
petite idée sur la question selon qu’il vénère Sophia Loren, Gina Lollobrigida,
Claudia Cardinale ou encore Silvana Mangano ; ou selon qu’elle craque
(désolé pour mon parti pris impudemment hétéro) pour Mastroianni, Gassman,
Franco Interlenghi ou Massimo Girotti.
Une chose est en tout cas avérée : les
canons de la sexualité ont été bouleversés depuis l’après-guerre. Si notre
époque actuelle, à travers les top models, ces nouveaux objets sexuels, érige volontiers l’androgynie, sous-alimentée de préférence, en
archétype de l’esthétique, tel n’était certes pas le cas il y a un
demi-siècle. En ce temps-là, un brin antédiluvien je le confesse, les hommes
préféraient les femmes aux formes généreuses ou avantageuses :
poitrines épanouies et fesses bien en chair exsudaient ainsi une sensualité
dont on n’a plus idée aujourd’hui.
Rappelons-nous la si plantureuse Marisa
Allasio dans le très rafraîchissant Poveri
ma Belli (Pauvres mais beaux) de Dino Risi, un film de 1956. Les
cinéphiles gardent encore en mémoire sa robe rouge incarnat qui faisait chavirer les mâles de même que les
ruses invraisemblables échafaudées par les deux sympathiques frères ennemis,
Maurizio Arena et Renato Salvatori, pour se concilier les faveurs de la belle. Mais
ce furent bien Sophia Loren et, à un degré moindre – pour cause de longévité
inférieure à l’écran – Lollobrigida qui méritent sans conteste la palme de la
popularité en ce domaine.
Sophia et ses formes voluptueuses qui mirent
en transe jusqu’aux producteurs outre-Atlantique, lesquels en avaient vu
pourtant d’autres : ce qui inspirerait à Risi une formule méprisante
suivant laquelle les Américains étaient irrévocablement « un peuple de
camionneurs » … Gina et ses tenues délicieusement dépenaillées de Bersagliera sauvageonne dans Pane, amore e fantasia (Pain, amour et
fantaisie), au point d’affoler Vittorio de Sica alias le débonnaire maréchal
(des logis) Carotenuto.
Un peu plus tard s’imposa, sur un registre moins
pétulant voire un peu plus intellectualisé quoique non moins sensuel, Claudia
Cardinale, égérie de Visconti et inoubliable interprète de La Fille à la valise, de V. Zurlini, ou de La viaccia, de M. Bolognini. Est-il fortuit que le romancier
Alberto Moravia propose, un jour de 1961, à « la Cardinale » (comme
l’appelait le grand Luchino) une interview sous forme de plongée philosophique dans
le rêve et le temps ? Vint aussi, sur un registre plus sensuellement hard dans Malicia ou dans Sessomatto
(Le sexe fou) Laura Antonelli qui formerait dans la vie, pendant plusieurs années,
un couple de rêve avec Jean-Paul Belmondo.
Objets sexuels ? Sans doute mais pas uniquement
car ces stars savaient aussi jouer la comédie et avaient même gagné de haute lutte la reconnaissance de la profession à ce
titre. Après tout, Sophia Loren obtint le seul Oscar de sa carrière pour un
rôle dramatique qu’elle interpréta avec maestria dans La Ciociara, un chef-d'oeuvre signé V. de Sica. Quant à la sublime Silvana Mangano dont
les jambes interminables et la poitrine moulée dans son pull trop étroit
ont si longtemps transformé le spectateur en voyeur, on ne sait plus aujourd’hui s’il faut
s’attarder sur la sensualité torride qu’elle dégageait dans Riz amer de De Santis ainsi que dans Théorème de Pasolini ou dans son rôle de
grande aristocrate dans Mort à Venise
de Visconti. Pour cette raison même, ces stars exceptionnelles - à la
différence notable de la sublissime Lucia Bosè - auront plutôt bien vécu leur
vedettariat et n’auront pas été broyées par un système de production qui
n’avait d’ailleurs rien de commun avec celui des grands studios hollywoodiens. De fait,
aucune de ces étoiles filantes ne connut le destin tragique d’une Marilyn
Monroe.
Une autre vérité transparaît de la carrière
de ces sex symbols : ceux-ci ne
se construisent pas patiemment, avec méthode et persévérance, mais émergent
brusquement, presque brutalement, tel un coup de poing. Ainsi, aucun producteur
italien se sera longtemps perdu en conjectures superflues sur le potentiel cinématographique d’une Monica Vitti, d’une Virna Lisi ou d’une
Ornella Muti. De même, chez les hommes, le sex
appeal d’un Massimo Girotti dans Ossessione
(Les Amants maudits) de Visconti qui donna le coup d’envoi du néo-réalisme italien
fut perçu d’emblée pour ce qu’il était, à savoir dévastateur.
Il est vrai qu'existe une sorte de contre-exemple en la personne de Marcello Mastroianni. Ce dernier
avait déjà une bonne dizaine d’années d’expérience sur les planches comme sur les
plateaux – dans des rôles relativement secondaires de comparse – lorsque
Fellini, contre vents et marées, eut l'idée géniale de lui confier le rôle
principal du journaliste dans La Dolce
Vita. Et ce fut l’explosion subite, inouïe, du latin lover : un rôle qu’abhorrerait d’ailleurs le principal intéressé toute sa carrière durant. Quoique multipliant les rôles à contre-emploi – les
impuissants comme dans Bel Antonio,
ou les paumés minables comme dans Drame
de la jalousie – Mastroianni n’aura pu cependant empêcher qu’on le classe dans la
catégorie des grands sex symbols de
notre temps. Acteur exceptionnel, Marcello restera éternellement le séducteur absolu, celui à qui aucune femme ne peut résister. D'ailleurs, est-ce un hasard s’il eut
pour compagne une certaine Catherine Deneuve ? Est-ce aussi un hasard si,
le jour de sa mort, les eaux de la fontaine de Trevi furent arrêtées en signe
de deuil ?